Plus tard, quand je fus vraiment grande, à 12/13 ans, je m'entraînais avec mon amie Arlette à manger de l'herbe et des feuilles pour pallier la faim quand nous partirions pour toujours. Mais je n'ai jamais su aller plus loin qu'à l'église du coin ou à l'orée du bois de Vincennes. Mes parents avaient raison. Je ne valais pas grand-chose.C'est comme la mort. Elle m'a effleurée dès l'âge de 5 ans, tout à fait métaphysiquement.Plus tard, je n'ai plus pensé qu'à elle, mais comme solution.
Me fourrer la tête dans un sac, me pincer le nez avec une pince à linge, plonger la tête dans la bassine pleine, me pendre à une ficelle entortillée à la poignée d'une porte, fermer à fond la clé du poêle, me taillader les poignets, traîner longtemps sous la pluie glacée, rester plantée sous l'arbre le plus haut un jour d'orage, retenir mon souffle le plus longtemps possible... Ah, que la vie était coriace! Et l'enfance sans issue.
J'avais été si peu coopérative au cours complémentaire de Vincennes que j'ai atterri chez les sœurs Saint-Vincent-de-Paul à Paris, rue Rocroy. C'était bien, je m'y suis distinguée. La meilleure de l'école, c'est dire. Toutes les palmes. Tous les éloges. «Dictionnaire ambulant ». Un seul problème mais de taille : je péchais à chaque messe. J'étais en état de péché permanent (Mortel, pour tout arranger) Voici pourquoi : Mon père avait refusé catégoriquement que je «fasse ma communion ». Pas de robe, pas de cadeaux pas d'hostie. Pas de bondieuseries ici. D'où: interdit de communier. Logique.
Interdiction que je transgressais, la mort dans l'âme, plus tard chez les bonnes sœurs. (Impensable pour elles de n'avoir pas fait sa communion en temps voulu comme tout le monde) Pas question d'avouer cette tare.
Mieux valait brûler en enfer durant l'éternité tout entière plutôt que soutenir un instant le regard horrifié et incrédule de mes camarades de Rocroy. Pauvre Jésus.
Gabriel est un des nombreux frères de mon père. Ils ont, Germaine et lui, 12 enfants. 6 garçons qui se suivent, puis 6 filles. Viendront ensuite d'autres enfants, je n'ai pas fait le compte. Retour d'Indochine, ils se sont installés à Vincennes avec Kam, une «niaquoué », leur domestique. Là-bas, chaque enfant avait son «boy». Ca fait rêver.
Un jour, je suis allée au cinéma avec Kam. Le lendemain, une petite négresse de mes amies d'école est venue me sermonner durant la récréation: «Je t'ai vue hier, tu n'as pas honte de te promener avec une chinoise? ». Authentique.
Jouer avec mes cousins est un vrai bonheur. On construit des cabanes dans la cour, on fabrique des arcs, ils organisent des courses de hannetons et autres bestioles. D'Indochine, ils ont ramené des fantômes qui nous rendent visite la nuit. Les esprits frappent les murs à certaines heures. Les oranges sautent toutes seules du compotier. Les locataires se signent quand nous passons.
L'embêtant, c'est ma mère. Elle a toujours besoin de moi pour ceci, pour cela. Il y a désormais trois enfants à la maison. Jean-Benoît, le bébé tout rose, ajoute à ses obligations.er plantée sous l'arbre le plus haut un jour d'orage, retenir mon souffle le plus longtemps possible... Ah, que la vie était coriace! Et l'enfance sans issue.
Le jeudi, par exemple. Je dois laver la vaisselle de la semaine qui s'est entassée dans l'évier de la cuisine. Parfois, Arlette, Nicole, mes amies, viennent me donner un coup de main. Un jour, nous avons [mi dans la cour frappant le cul des casseroles avec les cuillères, dansant à l'indienne et chantant à plein cœur: «A -a ni couou ni cha-a-ou-a-ni... A -a ni cou-au-ni cha-a-ou-a-ni».
Les locataires postés derrière les fentes de leurs rideaux jetaient un œil envoûté sur ce qu'ils croyaient être des chinoiseries débridées (si l'on peut dire). Les signes de croix, désormais très en vogue dans l'immeuble, faisaient trembloter les voilages. Le soir, il a fallu payer. A grands revers de mains, flap ! et autres objets frappeurs en attente de service. Les fonds de casseroles cabossées de ma pauvre mère m'avaient dénoncée. (E-é-a-ou-ni bi-ci-ni...E-é a-ou-ni bi-ci-ni)
Un camion s'arrête rue Saint Lazare. Des gens m'attrapent et me jettent dedans. Il y a là plein de gosses qui hurlent. J'en fais autantOn va à l 'hôpital saint Louis, c'est la chasse à la gal Là, on est déshabillés, brossés à la brosse à chiendent, du haut en bas, jusqu'entre les doigts de pieds, dans de grands baquets d'eau sulfureuse. Puis rhabillés à toute vitesse dans les hurlements, pressés à nouveau dans le camion et re-déposés sur les lieux du rapt. Avant-goût du purgatoire
Ma cuti a viré. Je manque de vitamines, dit-on. On m'expédie en aérium. On y mange du blé tout cru et les grandes absorbent en cachette des flacons d'eau de Cologne.Quand on est puni, on reste à genoux sur deux lattes mal équarries. Le soir dans le dortoir, on joue au «Roi sur son trône». Les courtisans ont pour tâche de s'approcher du roi le plus lentement possible en faisant le moins de bruit possible (le parquet grince) Surtout ne pas rire. La surveillante n'est pas loin. C'est un peu comme à la maison.
L'esprit de la maison n'est pas exceptionnel. Placée un temps à la campagne, la nourrice me traite de « chinoise» à tout bout de champ en me tirant les nattes (J'avais encore à l'époque un petit nez aplati, le cheveu raide à l'asiatique comme aujourd'hui et deux anneaux dans les oreilles qu'on venait de me percer. Papa m'avait dit à cette occasion: «On te les percera avec une poinçonneuse, la même que celle pour faire les trous dans les tickets de métro ») Elle pimente ma soupe et guette mes réactions, m'envoie servir le repas du molosse enchaîné à sa niche qui manque chaque fois me dévorer, me fait lever de bon matin pour préparer le feu, se mijote quotidiennement d'autres petits plaisirs dont je suis l'héroïne. Me fait jurer de dire à ma mère: « Je suis bien ici, je ne veux pas rentrer à Paris, la dame qui me garde est si gentille» A ce moment là, la fée Carabosse, par on ne sait quel coup de trique magique, se transforme en dame confiture. Et maman sort ses billets . Allez comprendre. Elle ne peut pas me sentir et pourtant elle veut me garder. A tout prix! si, si .
Je passais beaucoup de temps à recevoir des coups. C'est maman qui frappait. (Bien sûr, elle assumait tout, elle travaillait, fatigue, énervements, disputes et violences conjugales, elle ne se maîtrisait plus) Toujours sur les nerfs, elle attrapait ce qui lui tombait sous la main. Une galoche par exemple, une de ces godasses à semelles de bois que nous portions, nous les enfants, avec -comble du luxe- deux fers , un à l'avant, un autre à l'arrière pour préserver le cuir. Galoche donc et tisonnier (près du Godin, il était toujours disponible) avaient sa préférence. Grêle de coups qui tombaient sans trop savoir pourquoi. C'était comme un cataclysme naturel. Il fallait lever les bras pour se protéger le visage, le reste du corps faisait ce qu'il pouvait. Le martinet n'avait plus de lanières depuis belle lurette. Le manche était devenu un accessoire très pratique pour éviter des douleurs inutiles. Sans lui, les paumes cuisaient: {( A cause de toi, maintenant, j'ai mal aux mainsPapa, lui, avait résolu le problème des coups et du même coup ses cas de conscience. «Je ne te battrai jamais devant quelqu'un. Pas même ta mère. Ainsi, personne ne te croira si tu m'accuses» Simple.
Quand on a six étages à monter et descendre, il est parfois pratique d'avoir un gosse sous la main pour chercher le sel ou le pain. Je descends donc chercher le pain, ce soir-là. Mais la pièce de monnaie me glisse des doigts et tombe dans le trou de la bouche d'égout sur le trottoir. C'est une catastrophe, au sens fort. Une catastrophe qui m'agenouille en larmes sur le trottoir. Plus question de remonter les six étages sans risquer la peine de mort. Un monsieur passe en chapeau et pardessus, immense sur ma tête, s'arrête et s'accroupit près de moi. Il fait froid, c'est l'hiver; il fait gris, c'est le soir. La voix qui sort du monsieur est douce et grave comme dans un conte. Elle demande ce qui se passe, pourquoi ces pleurs et ce désespoir. Je sanglote ma pièce du pain tombée aux égouts, ma terreur de la sentence qui m'attend si je remonte là-haut, l'orphelinat si je ne rentre pas. Alors, le monsieur sort une pièce de son manteau, me la pose dans la main puis s'en va dans le soir. -Il lui prend parfois des envies de travailler, de « gagner sa croûte ». Il a déjà pensé devenir « Gardien de phare» Cette fois-ci, il se voit bien en marchand des quatre saisons. Il entraîne ma mère dans l'aventure. Levés à l'aube, ils partent pour les halles. Je suis tranquille quelques heures. Je peux écouter les petits êtres invisibles circuler entre les fibres des planches de mon lit. Parler avec mes doigts qui ont chacun une grande bouche entre la première et la deuxième phalange. Je retiens souvent mon cœur avec mes mains avant qu'il ne s'envole. Installés sur le marché, finie la sinécure. Il me faut arpenter ledit marché de long en large et noter le prix des carottes, des poireaux ou des pêches. Ceci afin de pouvoir écrire fièrement sur l'ardoise un coût au kilo du produit légèrement inférieur à tout le marché. Jusqu'ici tout va bien, c'est de bonne guerre. Ce que personne ne soupçonne, c'est que sous le plateau des marchandises que l'on met en équilibre avec le plateau des poids, il y a une paire de ciseaux! oh, une petite paire de ciseaux, de tout petits ciseaux en forme de cigogne dont se servent les petites filles pour le cours de couture. De tout petits ciseaux de quelques grammes qui alourdissent si peu - faut pas exagérer-le sachet de navets. Allez, c'est pesé et emballé, au meilleur prix, messieurs, mesdames ! Voilà, c'est mon père. Il est comme ça.
-Ils se disputent autour de la table. Question de caisse, d'argent. Apparemment, marchand des quatre saisons n'est pas un métier de tout repos. Il est tellement fâché que son bol de soupe vient se fracasser sur le front de ma mère et que l'ampoule du plafond, sous un grand coup rageur de la louche, dégringole en mille morceaux dans la soupière. Pour une fois, je ne suis pas en cause. Je me terre.
-parfois, quand ça lui prend, il s'empare d'une pile d'assiettes et la lâche sur le carrelage de la cuisine où elles se brisent avec fracas. C'est terrifiant. On se met à la place des assiettes impuissantes.
- Tu es méchante comme ton père - Tu es bête comme ta mère
-Avant toi, il y avait un garçon mais il est mort, dit maman -Tu es un accident, dit papa une autre fois.
-Un jour, il en a marre, il veut divorcer. Ils divorcent. A part ça, rien ne change. Il est toujours là. Elle travaille. N'importe quoi peut me tomber dessus n'importe quand.
-Un autre jour, il en a marre d'être célibataire. Ils se remarient. Enfin, ils se préparent pour le re-mariage. Maman semble heureuse, se concocte un petit tailleur pour la circonstance. Il lui vend (il lui vend!) un de ses vieux pantalons dans lequel elle pourra me tailler une jupe. C'est une petite lune de miel. Le jour dit, à l'heure de partir pour la mairie, il n'a plus envie. Maman est décomposée. Lui, tranquille, plus envie, c'est tout. Il reste assis. A part ça, rien ne change.
-Maintenant, il a ce qu'il voulait: Une moto. Il astique et pétarade. Une moto, à cette époque, ce n'est pas rien. Il l'avait achetée d'occasion. Il aimait « faire des affaires ». Un jour, il est rentré avec un vieux gramophone. Musique et nasillements. Il avait revendu le gramophone à son vendeur. Plus cher. Bon prince, il m'emmène sur le porte-bagages de son engin qui file dans les rues de Paris à toute allure. Je m'accroche. C'est nouveau. Il file si bien qu'il percute cinq minutes plus tard de plein fouet une malheureuse voiture qui passe au carrefour. Patatras, l'engin, le père, la fille projetés sur le pavé. Les gens accourent, s'inquiètent pour l'enfant. Mais le trio en un bel ensemble se relève. Surtout ne pas gémir, ne pas pleurer, ne pas broncher, rester calme, timide, sinon gare. « non, non, oui, tout va bien, merci, merci». Et le trio de repartir en vrombissant vers son destin.
-Le destin de la machine n'a pas fait long feu. Un jour, elle s'est brisée en deux. Je n'ai jamais revu de ma vie une moto se suicider de la sorte. Moi, j'étais déjà brisée dedans, on ne pouvait rien voir. -L'histoire de la moto réveille celle de la voiture. C'est un peu plus tard, nous habitons Vincennes. A Vincennes, c'est tout un pâté de maisons, des garages, une petite usine de fils de pêche, un café-restaurant qui appartiennent à grand-père, le père de mon père. Grand-père, pour résumer, était un ancien colon d'Indochine -Là-bas, on l'appelait «Le Tigre» car il chassait le tigre qui faisait des ravages dans les plantations-
Il avait fait l'acquisition de ces propriétés à son retour en France. Auvergnat de souche, il avait aussi possédé un « château» en Auvergne dont tout le monde avait plein la bouche comme si c'était une qualité! Papa l'appelait « le vieux» ou « le chinois d'Auvergne» Il avait épousé une princesse de Hué, et leurs multiples enfants -dont mon père- étaient par conséquent des petits princes. Oui, oui. Mais à les voir, on n'aurait pas dit. Bref, on habitait Vincennes, dans un appartement au-rez-de-chaussée qui donnait sur la cour, totalement insalubre, les murs suintaient d'humidité. L'avantage résidait dans le fait qu'il était au nom de papa tandis que maman avait le privilège de payer le loyer. On verra plus tard ce qu'il advint.
Donc, la voiture. Une vieille guimbarde qu'il a repeinte en vert pomme. Deux places. A l'arrière, le coffre dans lequel on installe les enfants: Geneviève dite Yéyé, 3 ans, moi dite Bibiche, 10 ans. On fonce à la campagne. ça fait teuf teuf teuf. Ah, j'oubliais: C'est une décapotable. Quatre têtes au vent sur les routes de France .
Ce qui devait arriver arriva. Une carriole tirée par deux chevaux tranquilles débouche tranquillement dans l'autre sens. Elle vient juste de sortir d'un chemin de terre sur la droite et n'a le temps de se rendre compte de rien. Un bolide vert acidulé lui rentre dedans, l'un des brancards tel un boutoir passe miraculeusement entre les passagers faisant voler le pare-brise en éclats. La petite hurle à côté de la grande liquéfiée et pétrifiée tout à la fois. On ne voit pas la tête des parents tout secoués, assis devant avec des cris. Qu'à cela ne tienne. Pas de blessés. Juste quelques petits fragments de verre sur une joue ou une cuisse qu'on enlève prestement. Il retire ce qui reste du pare-brise. Fanfaronne. Crache sur le «nouveau pare-brise» invisible et fait mine de le nettoyer avec son mouchoir. Sourire familial obligatoire. Et le voilà reparti dare-dare, avec son monde déconfit, sur les routes de France.
Ajoutons que par la suite, cette voiture a gardé son pare-brise invisible, insalissable et incassable. N'est-il pas drôle, mon père?
Dernière année de communale, j’ai passé l’examen d’entrée en sixième avec succès grâce aux morceaux de sucre que j’avais croqué dans cette perspective avant l’épreuve. J’ai le prix d’Honneur. Un beau et gros livre, lourd presque autant qu’une bonbonne de butane: « Le père Goriot » d’Honoré de Balzac. Je ne travaille pas à l’école spécialement pour m’instruire mais pour le plaisir de pouvoir annoncer une fois l’an, « je suis la première » ou « J’ai le prix d’honneur », à cheftaine Clément, directrice de la colonie de vacances de la C.G.E (Mais aussi surveillante générale d’un lycée à Versailles) Mes parents sont tout fiers de me voir rentrer à la maison avec ce pavé sous le bras. Leurs yeux brillent. Ils sont aussi beaux que sur les photos, ils sourient comme des anges. Les voisines descendues dans la cour me félicitent. Je me sens comme une autre, comme un papillon jaillit de sa guenille et regardant le monde avec des yeux bleus. Ahhh…Mais le lendemain tout redevient normal. Le Père Goriot n’a plus rien à dire. Père et mère reprennent leurs têtes d’humains, mes yeux sont noirs et mes chaussettes tombent.
2
A la grande école, rue Montholon, le lundi et le vendredi nous comparons nos jambes striées de bandes rouges, Monique Renard, Monique Hirtoum et moi : C’est le club des martinets volants du jeudi et du dimanche. Nous circulons parfois dans toutes les classes rigolardes, notre cahier ouvert à la bonne page épinglé dans le dos ou bien nous faisons le tour de la cour pendant la récréation les deux mains sur la tête. C’est la consigne. Rien ne m’empêche cependant de surgir régulièrement en bandit masqué, mouchoir en pointe sur le nez, et d’attaquer les riches diligences en cordes à sauter. Ce n’est pas l’envie d’être bonne fille qui me manque, mais mon nez et mes cheveux plats supportent mal les « Chine, Chine, Chine, j’aime la Chine et mon chapeau chinoioiois ! » grimacés, mimés et chantés par les grandes du cours moyen. L’Asie est un continent peuplé de ouistitis et pas encore de mages financiers. A 9 ans, sous mon tablier à carreaux je suis une espèce de cow-boy, de Zorro minuscule, je me ballade accoutrée d’un grand chapeau et d’une cape virevoltante, dans la rue, le métro, à l’école. Je veille, à l’affût, prête au sacrifice ultime, mais rien n’arrive jamais, pas un seul Gulliver à sauver.
3
En sixième, me voici mousquetaire du roi, Athos c’est moi. Ou bien j’endosse la prestance d’Aymer de Montrevel, selon la cause. Avec mes compagnons dont Arles de Montaigle, nous défendons la veuve et l’orphelin. Nous incarnons aussi bien Danton que Saint-Just, il nous arrive d’être grognards de l’Empire sinon l’Empereur lui-même. Autant dire que les mathématiques passent à l’arrière-plan. D’autant que nous déclamons l’Aiglon à tout propos, plutôt mal à propos. Les professeurs « en baissent les bras », c’est encore eux qui le disent, nous approuvons chapeaux bas. Nos exploits de papier et de ficelles, nos sabotages audacieux, nos combats à la règle sur les pupitres, nos missives cachetées, tout cela finit par transformer le programme en épopée de banlieue qui finit en quenouille. Il faut trouver des stratégies pour subsister, trouver un sens, ne pas être fille -qui plus est mal venue, un monde parallèle un monde crevant les livres et s’en libérant pour s’enfoncer dans les veines jusqu’à l’incarnation. Il faut.
Je continue, hors d’âge, à travers d’autres formes pour oublier l’audace d’exister. Toujours, la mort la vie, l’amalgame indéchiffrable et obsédant. La mort. J’ai l’air de vivre comme ça, cervelle moulin à moudre sans répit la question, mais je suis morte très vivace au cœur de la vie du monde mort de lui-même.
4
Chez les sœurs Saint Vincent de Paul, je décide de ne plus passer pour ce que je ne suis pas. Je travaille d’arrache-pied, j’apprends à la folie, j’accède à l’état de « dictionnaire ambulant », vedette du haut en bas de l’école, les filles à papa désormais me tutoient. J’aime, il faut le dire, l’ambiance nouvelle des « écoles privées », ambiance studieuse et feutrée, l’ordre et la prière (La classe commence plus tôt qu’à l’école publique pour la prière du matin et finit plus tard pour la prière du soir. Les laïcs n’ont rien à dire, nous ne mijotons pas prêchi-prêcha, pas de récré pas de pause pas de grève) Les cornettes empesées vibrent à la moindre contrariété et peuvent faire office d’indicateurs visuels de haute précision. Le prêtre hebdomadaire traverse la classe en balayant l’air de sa soutane et ramène des cieux un parfum d’encens et d’exotisme. Sa tête demeure là-haut très haut sous le plafond tandis que nous sommes assises très bas à nos pupitres. Il passe, il fleure l’église, imposant, inoffensif. Je réponds à toute question sans faillir sous l’œil éberlué des camarades. Eh oui. Défi secret et révélation progressive, il suffit de se concentrer et de tenir serré entre pouce et index tant que je peux mon gris-gris porte-chance (un petit pendentif hérétique que m’a offert « Mémé ») et presque tout peut s’insérer dans ma boîte crânienne. Belle époque. Je ne crains que les défaillances de ma mémoire mais je la maintiens férocement sous la férule de ma volonté.
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Published by Béatrice Kad
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informations
9 février 2005
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CITADINES
CRÉPUSCULE
Là-bas, entre les arbres, on distingue le coucher du soûlaud. Sur des cartons peints et punaisés de pluie. Il a des rayons rouges entourés deau. Poignants. Sans ombre. Du coup les passants coupent court, sautent par dessus linterdiction de traverser, et se réfugient dans la nuit noire avant même quelle soit là.
AMOUR
Cest au bois quensemble nous regardons passer la vieille roulotte rimbaldienne avec des enfants bariolés. Tu as une écharpe achetée au pendu qui avait pu casser sa branche avant la mort. Je tiens en moi ta main froide. Bien nouée à mon bras, elle ma pénétré.
- Ne crains rien, me dis-tu, tu ne casseras pas.
Rimbaud séloigne en grinçant.
MORALE
On passe toujours à autre chose en souriant. Les curés en profitent pour dire amen, et les procureurs pour accentuer le déficit. Dans les cérémonies on pousse les enfants à farder linnocence. Cest toujours par devant quils ne doivent plus bouger.
ACCIDENT
Faites un jeu de Follain-gaillard. Ajoutez Balthus aux petites filles qui traversent la rue sans regarder. Même en revenant du quai aux fleurs, elles ne peuvent croiser leurs jambes sans renverser le vieux monsieur. Encore plus si le banquet sest prolongé jusquà laffection mutuelle...
S.D.F.
Sur le quai, un quart dheure à attendre. On compte les pavés pour tomber juste jusquà la Seine. Il manque une dent au rieur de pierre. Une mouche entre et sort, puis rentre et ne sort plus. Un homme longe le quai, séloigne derrière un pont. Sans domicile fixe, il na pas à rester là.
IMMEUBLE
Sous les combles, lamour partage lamande en deux. Aucun pigeon sur le zinc nannoncera philippines... Dans lescalier ça papote des talons, ça arrache la porte, ça se donne à la rue. On ne saura plus rien de ce parfum qui glisse sur la rampe et fait voler sa jupe.
AFFAIRE
En shabillant, il expédiait les affaires courantes. Derrière lui larmoire entrait dans les moeurs, le miroir palpait lentreprise, son portable déboutonnait le premier appel qui navait rien sous la jupe.
CENT PAS
La reluisée du coin de rue, avec sous lépaule un sac rouge. Elle anime lorée dun bar, tourne et revient sans faire un pli. Toujours tendue. Comme si laccordeur était passé.
Published by Claude Albarède
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poésie
5 février 2005
6
05
/02
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Claude Albarède me fait parvenir un extrait du Monde 2 du 24 décembre 04 dans lequel Pierre Assouline parle de Rififi chez les poètes. « Éric Gross le directeur du CNL commit le crime de modifier la bourse dannée sabbatique (26400 ) allouée au poète Dominique Meens auteur daujourdhui je dors, en la transformant en bourse de création (13200 )
Pourquoi? Parce que tous les quatre ans depuis dix ans, ce même poète obtient cette allocation que ses défenseurs voulaient augmenter à lancienneté ».
On croit rêver. En France avec mes deniers entre autres létat assiste des poètes, leur offre des années sabbatiques, et me refuse une commission paritaire alors quavec ce qui est octroyé à un seul je pourrai faire lire un nombre incalculable de poètes à tous pendant plusieurs années.
Monsieur Gross si vous voulez réformer les aides attribuées tournez vous vers les revues, elles seules sont capables de redonner souffle à la poésie. Aidez les pour leurs expéditions postales puisque les libraires et les diffuseurs nen veulent pas. Faites les venir dans les manifestations telles que le marché de la poésie, le salon de la revue les différents salons du livre en leur offrant les frais de déplacement, dhébergement et la location des stands. Elles sont les forces vives de la poésie actuelle et suffisamment diverses pour que vous soyez certain quil ny aura pas les coquins et les copains qui se sucreront. Elles sont implantées sur tout le territoire cest un gage de diffusion certain et non engluées dans le parisianisme. Elles se battent quotidiennement pour survivre ce qui prouve leur vitalité qui ne pourrait quêtre décuplée avec votre aide.
Entendons nous bien je ne veux pas être subventionné je ne demande que léquité des attributions pour diffuser un produit essentiel de notre culture qui si il nest pas rentable nen est pas moins très prisé. Il vous suffit de réactiver les rouages déjà existants en y mettant de lhuile au bon endroit, de notre côté nous nous occuperons de la création et en prime nous vous apporterons des lecteurs de poésie et nous en susciterons dautres puisque mieux diffusées.
Ma modeste expérience me dit que la plupart des poètes ne veulent pas du salariat ou du mécénat pour eux-mêmes, mais ils aimeraient bien que les revues dans lesquelles ils publient, les manifestations auxquelles ils participent puissent les défrayer pour leur travail créatif, en ne leur octroyant pas une aumône, ainsi regagneront-ils en considération.
Les revues sont, actuellement, le marchepied de la création poétique et ont remplacé les éditeurs frileux, leur comité de lecture et les diffuseurs. Cest ici que vous devez faire porter votre effort si vous voulez que la poésie reprenne pied dans ce siècle où on en a de plus en plus besoin. La poésie indispensable daujourdhui pour un acte à notre démesure.
Published by Jean-Pierre lesieur
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poésie
4 février 2005
5
04
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/février
/2005
00:00
La poésie est représentée en France par une centaine de revues. Comme en poésie en est une entre autre. Elle est entièrement rédigée par Jean-Pierre lesieur et fabriquée itou dans le cadre d'une prise en main des moyens de production d'un artiste qui se voit beaucoup plus comme un artisan.
Dans la revue sont publiés des poèmes de poètes de France de Navarre et du monde francophone. On peut les envoyer par la poste, par internet ou par tout autre moyen. Elle fait se cotoyer des poètes confirmés et des poètes jeunes ou ayant peu publié. Il faut seulement que la poésie offerte soit accessible, pas de prise de tête, ni de recherches formelles trop complexes, mais elle ne refuse pas la modernité de l'écriture et de la forme. Elle accepte et recherche l'humour, mais ne néglige pas non plus tout ce qui gravite autour de la poésie, les jeux de mots, les haïkus, les petites annonces fabriquées et humoristiques ou poétiques, la chanson etc.
Elle donne de l'information et veut être un lien entre les hommes et les femmes qui écrivent sans tabous et sans chapelle. Elle est mise sur un support papier pas encore sur le web, et envoie régulièrement des poèmes à des internautes qui s'inscrivent sur une liste pour les recevoir.
Elle ne refuse pas la polémique ni la controverse, genres qui fleurissent en poésie.
Published by Jean-Pierre lesieur
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