J'éCRIS
Pour oublier de vivre cette vérole de déveine, ces acacias menteurs dont les épines puent, ces grands coups de pieds au cul, trop nombreux pour faire mouche.
Pour oublier ce paysage mort, un peu plus que nature, et des lunes couchantes qui baillent à fendre l’air.
Pour oublier ces apprentis Rimbaud qui ne riment jamais dans l’épaisseur du verbe se contentant de vitrioler quelques tranches d’adjectifs.
Pour oublier ces carcasses qui traînent dans des rues de poussière ou un arbre n’est jamais aussi vert que les fumées qui le ceignent de leurs oxydes mortels.
Pour oublier la télévision, les satellites et les yeux bien pensant, qui se repaissent de conneries à longueur d’automne sans plus connaître le rythme quaternaire des saisons.
Pour oublier qu’on tue - comment dire autrement l’acte qui consiste à rendre un homme mort - qu’il soit : fedayin, kabyle, israélien, palestinien, vietnamien, ou noir avec les armes perfectionnées des “technologienymphes”.
Pour oublier les charniers de capots, de phares et de portières qui s’engrossent en sourdine dans des accouplements de choc révélés concupiscemment par l’emboutisseuse électronique, la tronçonneuse à magnétique et le trombinoscope des présidents directeurs généraux de l’univers.
Pour oublier les enzymes gloutons, pas si cons qu’on le dit, et qui, un jour, feront une fête formidable au derniers globules rouges et blancs de nos corps.
Pour oublier l’image d’un poisson, ventre en l’air, filant au fil de l’eau, entre cent mille congénères aussi occis que lui, dont la vie ne rend plus compte aux hameçons des apprentis prêcheurs.
Pour oublier les rivières stériles et les mers idoines qui vous larguent la jambe quand vous trempez le pied heureuse de quitter ce corps déjà fade.
Pour oublier ces sirènes fichées dans le brouillard qui demandent à l’homme de ne plus respirer et condamnent à temps le bruit de ses poumons et à mort son sang.
Pour oublier de crever, étouffé entre deux rames d’invention nucléaires, et aller voir dans les palais de la découverte de l’au-delà ce qui aurait pu vous éviter le voyage.
Pour oublier de rendre compte, quand il en est encore temps, de la bave nauséabonde qui sourd des glaciers à la barbe des frigidaires et des icebergs en dérive terminale.
Pour oublier la griffe de l’égout sur les scaphandres autonomes de ceux qui descendront curer les abysses désolés.
Pour oublier les soleils ventrus perchés sur des échasses, incapables de fixer le regard d’un enfant sans avoir le vertige.
Pour oublier la main sur l’épaule de celui qu’on torture parce qu’il jette dans la rue le sperme de ses idées.
Pour oublier ce qu’un pied de fougère condense de rosée quand on a un peu soif sur les chemins torrides.
Pour oublier la narcose définitive des champignons.
Pour oublier que je ne suis pas dupe.
J’écris DE LA POÉSIE;.
JEAN-PIERRE LESIEUR